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À propos du top 100 des PDG

6 janvier 2014

  • Guillaume Hébert

La semaine dernière, nos collègues du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) publiaient leur mise à jour annuelle sur la rémunération des 100 dirigeants d’entreprises les mieux payés au Canada.

Lorsqu’on appartient à ce groupe, on gagne en moyenne 8 millions (M) de dollars par année, une fois additionnés les différents modes de rémunération (salaire, primes, actions, options, etc.).

Gagner 8 millions par an, ça veut dire que le 2 janvier 2014, à 13h11, on a déjà empoché environ 47 000$, soit le salaire moyen d’un travailleur au Canada.

Pourquoi, ça survient le 2 janvier ? Parce que le 1er, c’est férié…

Au sommet de ce top 100 trône Hunter Harrison, le président-directeur général (PDG) du Canadien Pacifique (CP). Il s’est hissé en première place avec un revenu annuel de 49,1 M$. Le CP est l’une des entreprises mises en cause par le gouvernement du Québec dans la tragédie de Lac-Mégantic. Il est tristement ironique de constater que l’entreprise, qui nie actuellement sa responsabilité dans l’accident, a versé à son PDG une somme qui correspond presque à l’enveloppe budgétaire totale du gouvernement du Québec pour le fonds de reconstruction de la ville.

De son côté, Lino Saputo Jr a été le moins bien traité du top 100 avec une rémunération combinée qui n’atteint que 3,9 M$.

Avec un revenu moyen de 8M$, les PDG reçoivent 171 fois le salaire d’un travailleur. Comparés au revenu des travailleuses, les PDG reçoivent une rémunération 194 fois plus élevée. Le nombre de femmes dans le top 100 a triplé cette année : il y en maintenant 3. Les 97 autres sont des hommes.

En entrevue au 98,5 FM, l’animateur Jean Pagé m’a demandé si les rémunérations stratosphériques au sein des entreprises sont réellement un problème dans la mesure où il s’agit après tout d’entreprises « privées ».

Une telle question dénote une certaine vision de l’économie qui accorde la préséance aux élites d’affaires. Une telle approche peut fonctionner lorsque la population maintient un certain niveau de vie ou, au minimum, des perspectives d’avenir favorables.

Lorsque la conjoncture économique s’obscurcit, les gens tendent au contraire à demander des comptes pour les promesses de prospérité non-tenues (celles qui accompagnèrent par exemple la fin de la Guerre froide ou la bulle des technos) et surtout à s’impatienter davantage devant les excès, parfois obscènes, des plus riches (dont certains ont eu l’occasion de se faire une idée ces jours-ci avec le dernier film de Martin Scorsese).

On pourrait formuler plusieurs réfutations à l’idée que les salaires versés aux PDG d’entreprises privées ne regardent pas la société dans son ensemble.

D’abord, remarquons qu’une étude comme celle de la rémunération des 100 dirigeants d’entreprises les mieux payés est symptomatique d’un phénomène plus vaste sur la concentration de la richesse. Cette concentration est un enjeu de société étant donné son impact économique. En effet, la stagnation du revenu des ménages plombe l’économie au complet. Au-delà d’un certain niveau, et considérée sous un point de vue global, la concentration de la richesse, ça peut vouloir également dire que certains en obtiennent bien peu de richesse, voire aucune richesse du tout.

Bien conscients qu’il s’agit d’un enjeu de société, les Suisses ont d’ailleurs eu à se prononcer par référendum en 2013 sur la proposition de limiter à 12 pour 1 le ratio salaire patron versus salaire employé. La proposition a été battue, mais il ne serait pas surprenant de la voir ressurgir ailleurs. Comme le rapporte ici le journal Le Monde, plusieurs pays européens, dont la Suisse, ont par ailleurs déjà commencé à agir sur une autre dimension controversée de la rémunération des patrons, les parachutes dorés.

Rappelons-nous aussi la crise de 2007-2008, lorsque les peuples ont fait la connaissance de l’expression « too big too fail ». Aux États-Unis, des banques et d’autres institutions financières se dirigeaient vers des faillites colossales après des manœuvres spéculatives dénuées de sens. Suite à la faillite d’une première banque, Lehman Brothers, et la panique que ceci a engendrée, les élites d’affaires et les autorités ont résolu que certaines institutions financières étaient « trop grosses pour qu’on les laisser s’échouer ». Même si privées. Par conséquent, il fallait des plans de sauvetage pharaoniques à même les ressources de l’État. La suite est connue : argent public, déficit budgétaire, austérité, stagnation… Lorsqu’on pose la question du too big too fail, on devrait sans doute conclure too big too be private… On conclut également qu’il est important de bien savoir ce qui se déroule au sein des grandes entreprises privées.

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