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Appui à la mine Jeffrey: amiantose, myopie et déraison

23 juillet 2012

  • LH
    Laura Handal

Le gouvernement a annoncé en juin dernier l’octroi d’un prêt de 58 millions de dollars à l’entreprise Mine Jeffrey Inc. pour la relance de son projet d’extraction d’amiante chrysotile. Ce prêt était conditionnel à la participation financière dans le projet, à hauteur de 25 millions de dollars, de Balcorp Ltd, une entreprise de commerce international montréalaise avec des bureaux associés en Inde. La population d’Asbestos a reçu l’annonce avec grand enthousiasme : par deux fois, en 2008 et en 2009, la mine avait cessé ses opérations temporairement, entraînant la mise à pied de près de 300 travailleurs et travailleuses.

Personne ne semble toutefois réellement prendre de front ces longues périodes de chômage récurrent. Aussitôt que la mine se remet en marche, on feint d’oublier le problème de fond et on n’en parle plus. Mais c’est pourtant là un des plus grands inconvénients de l’industrie minière : ses phases de récession dues à sa forte dépendance aux marchés externes. Moins affectée par la grande variabilité des prix que le secteur des métaux, l’industrie de l’amiante fait plutôt face à un déclin permanent depuis les années 1970, en raison de la diminution continuelle de la demande de cette matière, qui engendre une baisse constante de la production.

Et pourquoi la demande baisse-t-elle? C’est que 55 pays dans le monde (dont l’ensemble de l’Union Européenne) ont banni l’utilisation de ce minerai dû aux craintes concernant sa toxicité.

Si ce secteur a joué un rôle important dans l’économie québécoise pendant plus d’un siècle, il s’agit maintenant d’une industrie agonisante qui ne peut survivre sans l’appui du gouvernement. Poussée à la faillite en 2002, la mine Jeffrey, une des deux dernières mines d’amiante au Canada, s’était placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers en 2003.

Le lobby de ce secteur minier porte toutefois ses fruits. Des partis de l’opposition à Québec avaient dénoncé en 2011 l’influence possible du président de Balcorp dans la décision d’octroyer une garantie de prêt à Mine Jeffrey. Ce dernier avait organisé un cocktail de financement au bénéfice du Parti libéral, événement qui avait rapporté 20 000$ au parti. Cette même année, le gouvernement Harper a participé aux efforts qui visaient à bloquer l’inscription de l’amiante sur une liste onusienne de substances chimiques dangereuses.

Évidemment, la réflexion ne se limite pas qu’aux éléments économiques puisque l’enjeu central concernant l’industrie de l’amiante demeure la santé. Celle des travailleurs et travailleuses du secteur, mais également celle des personnes exposées à cette fibre dans leur environnement de travail ou ailleurs. Les études qui confirment le lien entre l’exposition à cette matière et le développement de divers types de maladies pulmonaires et de cancers sont nombreuses. Cette association causale fait d’ailleurs l’objet d’un large consensus scientifique.

L’enjeu de la santé ne se limite pas qu’au Québec, puisque l’amiante est produite principalement afin d’être exportée, dans des pays comme l’Inde ou l’Indonésie. La Société canadienne du cancer s’est d’ailleurs prononcée contre l’appui gouvernemental à la réouverture de la mine. Elle soutient que les normes de santé et de sécurité en milieu de travail dans ces pays ne sont pas suffisamment strictes. D’ailleurs, des militants indiens ont exprimé leurs craintes face au prêt octroyé par le gouvernement québécois à la mine Jeffrey et demandent plutôt à celui-ci de venir en aide aux victimes d’amiantose dans leur pays.

Une panoplie d’experts, associations et organismes, à l’échelle nationale comme internationale, se sont prononcés contre ce prêt. Ils ont exhorté le gouvernement québécois à suspendre définitivement les opérations de l’industrie de l’amiante. Parmi eux figurent «une centaine de scientifiques de 28 pays», les familles des victimes des maladies de l’amiante, Greenpeace, Québec meilleure mine, l’Association des médecins spécialistes en santé communautaire du Québec, la Direction de la santé publique de l’Estrie et l’INSPQ. L’OMS quant à elle se positionne plus généralement contre l’utilisation et l’exportation de ce minerai. Même l’Organisation mondiale du commerce (OMC) reconnaît le caractère cancérogène de cette substance.

Quant au Canada, il a carrément banni l’utilisation de ce produit à l’intérieur de ses propres frontières, sans pour autant interdire son exploitation et son exportation. Il va sans dire que le soutien financier à ce secteur, les promesses de retombées économiques et les affirmations des deux paliers gouvernementaux voulant que l’amiante puisse être utilisé de façon sécuritaire constituent non seulement des contradictions flagrantes, mais simplement des insultes à l’intelligence.

La diversification économique en région pourrait représenter un meilleur usage de ces fonds publics. Beaucoup d’alternatives se dessinent en matière d’emplois verts (axés sur la réfection écologique d’infrastructures immobilières, de systèmes de transport et d’électricité), comme le souligne un rapport du CCPA sur la révolution industrielle verte.

Malgré cela, les politiques court-termistes du gouvernement continuent d’encourager la dépendance économique, la précarité d’emploi et s’entêtent à maintenir artificiellement en vie un secteur économique mortifère, lui-même condamné à mort. Quand l’histoire se répète ainsi et que les mêmes erreurs se succèdent, on ne peut que conclure que l’amiantose n’est qu’un des intarissables maux associés à «l’or blanc».

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