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Crise européenne : la bourse ou la vie

9 août 2012

  • Julia Posca

La crise dans la zone euro s’étire et les signes d’embellie se font plutôt rares. Ce qui était d’abord une crise des dettes souveraines s’est rapidement transformé en crise sociale. En Espagne et en Grèce, deux pays particulièrement affectés par la crise, le taux de chômage atteint des niveaux catastrophiques (respectivement 24,8% en juin 2012 et 22,5% en mai 2012), les services publics sont démantelés, des familles perdent leur logement. Même la culture, selon la communauté artistique espagnole, est menacée par le régime de minceur que s’impose le gouvernement.

Évidemment, les risques pèsent sur l’ensemble des pays de la région étant donné l’union monétaire qui lie une majorité d’entre eux. Le spectre toujours présent d’un défaut de paiement de la Grèce continue par exemple de hanter les dirigeants européens, qui ne partagent pas toujours les mêmes vues sur la voie à emprunter pour sortir de l’impasse.

Parmi les solutions envisagées, deux positions dominent. La première avenue est celle de l’austérité budgétaire. Les pays européens doivent diminuer le poids de leur endettement s’ils souhaitent retrouver la voie de la croissance. Les agences de notation, qui évaluent la « performance financière » des États, prônent la plupart du temps cette solution, tel qu’en fait foi la décision récente de Standard and Poor’s de ne pas abaisser la cote de crédit de l’Espagne en reconnaissance de ces efforts de « réformes fiscales et structurelles ».

La débâcle européenne s’explique aussi, pour certains analystes d’ici comme d’outre-Atlantique, par l’absence d’une véritable direction politique commune à l’ensemble des pays de la région. La deuxième solution à la crise est donc la consolidation de l’union. L’union monétaire, pour être viable, doit s’accompagner d’une plus grande coordination de la politique fiscale et budgétaire des États membres. Cette union améliorée devrait permettre une plus grande stabilité économique régionale.

Ces deux positions ne s’excluent pas nécessairement et ont plutôt été envisagées de manière complémentaire à ce jour. Réunis à Bruxelles les 28 et 29 juin derniers, les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ont ainsi accouché du rapport « Vers une véritable Union économique et monétaire ». Ils conviennent de mettre en place « un cadre financier intégré, un cadre budgétaire intégré, un cadre de politique économique intégré et un renforcement de la légitimité démocratique et de l’obligation de rendre des comptes. » C’est dans cette optique qu’ils ont adopté le « Pacte pour la croissance et l’emploi ». Les principaux axes de ce pacte sont la croissance économique, bien évidemment, mais aussi l’assainissement budgétaire de même que l’« approfondissement du marché unique ». Le premier axe consiste à développer de nouveaux secteurs tels que l’économie verte. Quant au deuxième, il s’agit évidemment de mettre le cap sur la réduction des dépenses publiques. Enfin, le troisième axe signifie que les États membres doivent favoriser la libéralisation des marchés par diverses mesures d’harmonisation, telles que « réduire la charge réglementaire globale » au sein de l’Union européenne.

Si cet accord a sur le coup rassuré les marchés financiers, − de la même façon que la volonté répétée de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, de sauver l’euro, a su apaiser la panique des investisseurs − ces accalmies n’auront été que passagères. L’incertitude plane à nouveau au-dessus de la zone euro, qui est soumise à l’humeur changeante des marchés financiers.

Ces résultats incertains ouvrent la porte à une troisième avenue, certes plus audacieuse, mais qui seule pourrait, à moyen et à long termes, sortir l’Europe de la crise dans laquelle elle est plongée. Il s’agit de renverser le pouvoir des marchés financiers au profit de celui des États, qui ont cédé leur souveraineté en se pliant aux impératifs de la finance globalisée. Évidemment cela exige qu’on inverse le « récit » de la crise actuelle : l’endettement public des pays européens n’est pas la cause de la débâcle dans la zone euro, comme nous le rappelle l’économiste Frédéric Lordon, c’est avant tout un résultat de la crise précédente, la crise des hypothèques à risque (subprimes), qui était une crise des dettes privées. En fait, l’économie capitaliste n’a jamais été aussi fragile que depuis que le secteur financier a été libéralisé dans les années 1970. À preuve, le nombre de crises de nature financière a augmenté drastiquement comparativement à la période des Trente glorieuses.

Cette solution pourrait passer par une union politique accrue, or l’essentiel de cette alternative consiste à réduire la dépendance envers les marchés financiers pour ce qui est du financement des déficits. Car la décision de se porter à la rescousse de la finance n’est pas neutre : elle se fait toujours au détriment des populations qui, comme le dénonçaient des Économistes atterrés, encaissent le coût de l’austérité pour sauver les banques de la faillite ou pour garantir leur rentabilité. Sous prétexte de « faire face aux tensions sur les marchés financiers, rétablir la confiance et relancer la croissance », les dirigeants européens ont mis le cap sur l’ouverture accrue des marchés et la flexibilisation du travail, de vieilles recettes qui ont surtout fait leur preuve en matière d’accroissement des inégalités.

Il revient alors au politique de reconquérir la légitimité qu’il a cédée au monde très peu démocratique de la finance, tel que le laissait dernièrement entendre le directeur du Monde diplomatique, Serge Halimi : « Notre monde est ainsi infesté de données arbitraires ou frelatées (Libor, « règle d’or », niveau de la dette ou des déficits publics à ne pas dépasser…) au nom desquelles on martyrise des peuples entiers, comme en Espagne […]. Ceux qui infligent ces châtiments avec le plus de cruauté demeurent auréolés de respect, qu’ils président une banque centrale incontrôlée ou une agence de notation. Quatre ans après le déclenchement d’une des plus grandes crises financières de l’histoire, la question de l’utilité sociale de ces institutions est pourtant tranchée. »

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