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La condition économique des jeunes entre mythe et réalité

6 juillet 2012

  • Julia Posca

Le 20 juin dernier, La Presse nous apprenait que « [l]es membres de la génération Y dépensent davantage que les générations précédentes sur le marché des produits de luxe en ce qui a trait aux vêtements, aux voyages et aux restaurants ». En réplique à ceux qui disent qu’il faut « faire payer les riches », l’éditorialiste Mario Roy en a donc conclu que, suivant cette maxime, il faudrait alors faire payer les jeunes.

Riches, les jeunes, vraiment ? En regardant de plus près la méthodologie de l’enquête à l’origine de cette affirmation, puis en examinant d’autres données portant sur la situation économique des jeunes, on en arrive à une conclusion bien différente.

L’étude sur laquelle se base l’article de La Presse et le commentaire de Mario Roy a été réalisée par le American Express Business Insight, une division de l’entreprise American Express (AmEx) qui fournit des analyses portant sur les dépenses de leurs clients. L’enquête qui nous intéresse se base ainsi sur les transactions effectuées par les clients d’AmEx entre 2009 et 2011. Autrement dit, il ne s’agit aucunement d’un échantillon représentatif de la population canadienne. Sur la base de ces données, on peut seulement affirmer qu’entre 2009 et 2011, les clients d’AmEx nés entre 1980 et 2000 ont effectué plus d’achats de produits dits de luxe avec leur carte de crédit (33% plus de dépenses pour des vêtements, 74% pour des voyages et 102% pour des restaurants haut de gamme). Dire que « [l]es jeunes Canadiens de la génération Y (…) sont ceux qui, davantage que les Américains ou les Européens, ont le plus augmenté leurs dépenses dans les produits de luxe entre 2009 et 2011! » est donc une affirmation fausse à deux égards.

D’une part, l’enquête ne montre pas que les dépenses pour des produits de luxe ont augmenté ; elle montre seulement que les clients d’AmEx ont réglé plus d’achats de produits de luxe avec leur carte de crédit. On pourrait par exemple faire l’hypothèse que les dépenses de ces consommateurs n’ont pas changé, mais qu’ils ont davantage eu recours à leur carte de crédit pour régler leurs achats au cours de la période en question. D’autre part, et plus fondamentalement, on ne peut penser que les clients d’AmEx sont représentatifs de l’ensemble des jeunes Canadiens. Puisque les données de l’enquête sont confidentielles, on ne connaît pas le profil de ces consommateurs. On sait cependant qu’au Canada, le marché des cartes de crédit est dominé par Visa (64%) et MasterCard (30%). Seule une minorité de consommateurs canadiens sont donc des clients d’AmEx. Or on ne peut certainement pas prendre pour acquis que cette clientèle a les mêmes caractéristiques que la population entière.

Ceci étant dit, on peut se demander ce qu’il en est réellement des dépenses des jeunes. Les données de l’Enquête sur les dépenses des ménages, produite par Statistique Canada, révèlent par exemple qu’en 2008, le revenu avant impôt des ménages québécois dont la personne de référence était âgée de moins de 30 ans avaient des revenus 28% moins élevés que la moyenne. Leurs dépenses (ce qui inclut les impôts) étaient aussi 21% moins élevées que celles de l’ensemble des ménages. Où va leur argent ? Près de 50% de leurs dépenses allaient au logement, à l’alimentation et au transport, alors qu’ils n’ont consacré que 6,3% de leurs dépenses totales aux loisirs et 3,2% à des sorties au restaurant. Par ailleurs, selon les dernières données de l’Enquête sur la sécurité financière (réalisée en 2005), les familles canadiennes dont le principal soutien économique était âgé de moins de 35 ans affichaient une valeur nette (ce qui équivaut à l’avoir moins les dettes) environ 6 fois moins élevée que l’ensemble des familles, et le quart de ces familles détenait une dette d’études.

Bien des préjugés sont véhiculés à l’endroit « des jeunes » et de leur train de vie. Le sens critique requiert qu’on se donne au moins la peine de vérifier sur quelles données se basent ces allégations. La morale de cette histoire : cet été, ne laissez pas votre esprit scientifique partir en vacances !

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