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La désinformation et la vérification des faits

8 octobre 2012

  • MJ
    Mario Jodoin

J’ai pris connaissance il y a quelque temps d’une étude portant sur le sujet en titre, Misinformation and Fact-checking: Research Findings from Social Science (La désinformation et la vérification des faits : les résultats de la recherche en sciences sociales), de Brendan Nyhan et Jason Reifler. Même si l’étude porte sur la désinformation aux États-Unis, ses observations peuvent, au moins en partie, nous éclairer sur cette réalité chez nous.

Introduction

Aussi bien les citoyens que les journalistes sont préoccupés par la prévalence de la désinformation dans la sphère politique. Elle pollue les débats et empêche les citoyens de prendre position de façon éclairée dans les débats politiques. Le défi pour les chercheurs en sciences sociales est de savoir comment les gens en viennent à croire aux informations erronées et de trouver les moyens les plus efficaces pour contrer ces fausses croyances. Ces fausses croyances peuvent aussi bien venir des hommes politiques et des groupes d’intérêt que de la base des partis. Elles peuvent se répandre par les ténors des partis, les médias traditionnels ou par les réseaux sociaux.

Types et exemples de fausses croyances

Ces informations fausses ou non appuyées par des faits peuvent être carrément des mythes au sujet de personnalités politiques, comme l’affirmation que Barack Obama est musulman ou qu’il n’est pas né aux États-Unis, ou celle qui prétendait que Sarah Palin n’était pas vraiment la mère de son fils Trig. Ils peuvent aussi n’être simplement que de fausses croyances sur les questions de politique, comme la présence d’armes de destruction massive en Irak ou la surestimation du nombre d’immigrants illégaux et du pourcentage de la population qui paie l’impôt sur les successions. Assez étrangement, la proportion de la population qui croit à ces fausses informations peut croître avec le temps. Ainsi, la proportion de ceux qui croient que des armes de destruction massive ont été trouvées en Irak est passée d’environ 75 % en 2003 à 35 % en 2005 (quand le fait qu’il n’y en avait pas a été fortement médiatisé), avant de remonter à plus de 50 % en 2007! De même, la proportion de républicains qui croient qu’Obama est musulman a presque doublé entre 2009 et 2010, atteignant 30 % cette année-là.

Fausses croyances selon l’appartenance politique

Si beaucoup plus de républicains que de démocrates croient qu’Obama n’est pas né aux États-Unis (plus de 40 % par rapport à moins de 15 % en 2010), beaucoup plus de démocrates que de républicains croyaient en 2006 que le l’administration Bush avait conspiré pour attaquer les tours du World Trade Center en 2001 (45 % par rapport à moins de 20 %). Le cas des «tribunaux de la mort» (death panel), des groupes de bureaucrates qui décideraient de soigner ou non les personnes âgées ou des patients atteints de certaines maladies dans le cadre de la réforme de la santé d’Obama, est encore plus troublant. Non seulement la croyance de cette fausseté différait grandement en 2009 selon l’appartenance politique, mais cette fausse information était encore plus répandue chez les républicains qui se considéraient bien informés (près de 90 %) que par ceux qui se considéraient mal informés (environ 75 %). Au contraire, les démocrates bien informés y croyaient moins (15 %) que les mal informés (35 %). En outre, le niveau d’adhésion à une fausse information dépend peu de sa provenance. Si l’invention des «tribunaux de la mort» vient d’une personnalité républicaine (Sarah Palin), celle sur la responsabilité de l’administration Bush dans les attaques des tours du World Trade Center provient des membres de la base et n’a presque pas été relayée par les élus démocrates (une seule représentante et un seul gouverneur y ont donné foi). Les auteurs en concluent (avec ceux d’autres études), que plus les gens sont partisans, plus ils cherchent les informations qui appuient leurs valeurs et leurs croyances, et moins ils ont accès à une information qui les contredit et moins ils y accordent d’importance.

Correction de la désinformation

Les études démontrent que de permettre aux gens désinformés d’avoir accès à l’information exacte entraîne une baisse de la désinformation. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas si simple… Si le fait d’informer les gens sur la baisse de la criminalité les portent à moins appuyer la construction de nouvelles prisons, leur donner une information exacte sur l’aide sociale (moins avantageuse qu’ils ne le croyaient) n’a pas changé leurs préjugés sur les bénéficiaires. Mais d’autres études sur le même sujet ont donné de meilleurs résultats. Les auteurs en concluent que les effets de donner l’information exacte ne sont pas uniformes.

– biais de confirmation

Ces écarts confirment que les gens sont plus ouverts à l’information qui confirme leurs croyances (biais de confirmation) qu’à celle qui les contredit. Il existe même des cas où le fait de fournir l’information exacte empirera la situation (effet boomerang ou «backfire effect»)! Par exemple, le fait d’informer des conservateurs qu’il est faux de prétendre que les baisses d’impôt de Bush aient fait augmenter les revenus de l’État provenant de l’impôt (en fournissant les montants précis des revenus avant et après ces baisses d’impôt) ont fait doubler (de 32 % à 65 % environ) la proportion de conservateurs qui considèrent qu’elles les ont au contraire fait augmenter!

– croyances positives et négatives

D’autres études ont montré qu’il est plus facile de contrer de fausses croyances positives que celles qui sont négatives. Par exemple, préciser qu’il est faux qu’un politicien ait réalisé un exploit fera davantage accepter la vérité que de dire qu’il est faux qu’il ait par exemple fraudé.

– l’importance de la causalité

Quand une désinformation explique un phénomène, une correction qui ne l’explique pas (même si elle est vraie) sera difficilement acceptée. Dans ces cas, la correction doit aussi expliquer le phénomène pour pouvoir avoir une bonne probabilité d’être acceptée.

– l’importance de la source

Une correction sera toujours plus acceptée si elle provient d’une source perçue comme étant compétente, digne de confiance et fiable. Sauf qu’une source fiable pour les uns ne l’est pas nécessairement pour les autres! Par exemple, un républicain sera plus crédible qu’un démocrate pour nier l’existence de «tribunaux de la mort» dans la réforme de la santé d’Obama. Les journaux sont souvent perçus comme fiables, mais cela peut parfois entraîner des effets négatifs. Par exemple, les journalistes ont souvent tendance à présenter les deux positions antagonistes dans un débat sans trancher, ni tenir compte des sources. Ainsi, dans le «débat» sur le réchauffement climatique, ils donneront souvent autant de place et de crédibilité aux 99 % de scientifiques qui confirment le réchauffement climatique et le rôle de l’homme dans ce réchauffement qu’au 1 % qui le nient ou qui prétendent que l’homme n’y joue aucun rôle (sans mentionner cette proportion…). Dans ces cas, la crédibilité des journaux augmentera le niveau de désinformation de la population.

– la répétition d’une négation

Une rumeur ou une fausseté risque d’être crue par plus de personnes si on en parle, surtout chez les personnes âgées. Par exemple, répéter qu’une personne ne ment pas fera plus douter de sa franchise que si on dit qu’elle est franche! Mentionner les fausses rumeurs sur les effets négatifs des vaccins fera douter de leur innocuité. Cela serait dû principalement au défaut de la mémoire des gens, mais aussi au réflexe de bien des gens de croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Donc, si je trouve un document ou une vidéo trompeuse, il est mieux de ne pas les mentionner que d’en parler en mal. J’ai un exemple personnel à ce sujet, mais je préfère justement ne pas en parler!

Les graphiques

Les graphiques sont un excellent moyen pour démontrer que des gens font des erreurs dans leur représentation quantitative de phénomènes. Les auteurs mentionnent l’insuccès à faire accepter que le nombre d’attaques en Irak après l’augmentation des troupes était en baisse en ne faisant que mentionner des chiffres (nombre de morts, par exemple), mais ajoutent que le fait de présenter les mêmes données sous forme graphique fut beaucoup plus efficace. Cela signifie aussi qu’un graphique peut être un excellent moyen de désinformation. Mais, ayant consacré sept billets à cette question, je ne suis pas difficile à convaincre, même sans graphique!

Conclusion

Les auteurs terminent leur étude en présentant des recommandations sur les meilleures façons de contrer la désinformation. Comme ils ne font que reprendre de façon plus ordonnée les éléments de l’étude et que ce billet s’en vient franchement long, je m’abstiendrai ici de les mentionner. J’ai personnellement grandement aimé cette étude. Elle s’ajoute à bien d’autres qui montrent que nous sommes bien moins rationnels que nous nous l’imaginons! Bon, peut-être pas vous et moi, mais tous les autres!

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