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La “qualité”, Cheval de Troie de la marchandisation

4 décembre 2013

  • Eric Martin

Dès l’automne 2014, de nouvelles procédures pilotesd’assurance-qualité” seront mis en place dans des CÉGEP témoins: (André-Grasset, Sainte-Foy et Shawinigan). La soumission des CÉGEP à ces mécanismes d’évaluation externes, déjà entamée à l’époque de la Réforme Robillard (1993) se parachève. Les CÉGEP sont ainsi amenés à emboîter le pas aux universités et à mettre en place des mécanismes d’évaluation importés du secteur privé. En clair, l’assurance-qualité participe d’un processus de mise en marché du secteur de l’éducation.

Mesurer la rentabilité du savoir

Des mesures d’audit seront mises en place pour évaluer non plus le plan stratégique des collèges, mais leurs procédures d’évaluation et leur capacité à atteindre “leurs objectifs” en matière de “qualité” de l’éducation. Le Larousse définit “l’audit” comme suit: “Procédure consistant à s’assurer du caractère complet, sincère et régulier des comptes d’une entreprise, à s’en porter garant auprès des divers partenaires intéressés de la firme et, plus généralement, à porter un jugement sur la qualité et la rigueur de sa gestion.”

Ici, la firme est le CÉGEP, qui doit rassurer le gouvernement et les “partenaires intéressés”, les “clients” et l’industrie, que l’argent qui est investi dans “l’organisation” donne des résultats satisfaisants en mesurant le tout par des indicateurs de performance. C’est ainsi que peut se mettre en place une sorte de « comptabilité du savoir » permettant de mesurer et d’évaluer la “rentabilité sociale” des investissements privés et publics dans le savoir, c’est-à-dire les retombées économiques positives qui en résultent. On cherche ainsi à s’assurer que les investissements dans le savoir se traduisent par de véritables impacts positifs sur la croissance du capital: c’est ce qui se cache derrière l’expression “économie du savoir“. L’homogénéisation des pratiques permet de convertir l’école au mode de fonctionnement et au rythme de la corporation, ce qui permet ensuite leur branchement réciproque et leur indifférenciation.

Quand qualité veut dire adapté au marché

L’assurance-qualité en éducation est un processus permanent et continu de « contrôle de la qualité »  visant à évaluer la performance des établissements et des programmes d’enseignement supérieur. À l’université, l’objectif est d’ajuster le « prix » de la formation à la « qualité réelle » du débouché sur le marché du travail. Devant la difficulté de mesurer la « qualité » des contenus éducatifs, c’est le prix des diplômes et la réputation communicationnelle (branding) des établissements qui serviront d’indicateurs de substitution. Cela entraîne une pression à la hausse sur les frais de scolarité (et donc, lorsqu’elle est implantée dans les collèges, une menace pour la gratuité), de même qu’une augmentation des dépenses de marketing et de publicité dans les établissements, dès lors obsédés par le “rayonnement” communicationnel. De plus, cela créera une pression sur les CÉGEP et universités pour s’assurer que les différents programmes soient arrimés aux exigences immédiates du marché du travail. Cela met en péril l’autonomie et l’indépendance du système d’enseignement supérieur en le rendant vulnérable aux injonctions des marchés.

Une menace pour la liberté académique

Soulignons qu’à l’université, ceci s’est aussi traduit par un détournement des ressources vers la recherche subventionnée, souvent à visée commerciale. En effet, nombre de classements s’appuient sur des indices qui mesurent le nombre de publications des professeur.e.s. Cela crée une pression qui détourne les ressources de l’enseignement et de la recherche fondamentale vers la suproduction de ce que Libero Zuppiroli appelle la “science bling-bling”, c’est-à-dire des publications superficielles dans le seul but de rester dans la course concurrentielle du ranking.

L’assurance-qualité, malgré ses dehors avenants, est un Cheval de Troie qui permet à la logique technico-économique instrumentale de faire irruption dans l’enseignement supérieur, ce qui constitue un détournement de ses finalités. En effet, la “qualité” est le plus souvent définie en fonction de critères économiques. Plus encore, l’existence même de ces mécanismes constitue une forme d’aliénation qui mine l’autonomie et la liberté académiques en les soumettant au contrôle social “en continu”, c’est-à-dire à la surveillance. Ce sont, comme le dirait Michel Foucault, de nouvelles formes de gouvernementalité visant à orienter subtilement le comportement des individus, puisque la poursuite des “objectifs” est toujours présentée comme volontaire.

Dans les universités, partout sur le globe, ces dispositifs ont permis, avec les réformes de la gouvernance, les hausses de frais de scolarité et les réformes pédagogiques axées sur les “compétences”, de faire tomber la frontière entre l’éducation et l’économie. Ainsi, l’université est-elle forcée de “rendre des comptes” en continu et de répondre aux impératifs de croissance de la “nouvelle économie”, laquelle carbure à l’innovation technoscientifique. Les CÉGEP du Québec sont aussi dans la mire de cette nouvelle barbarie qui donne au calcul et à l’économie la prérogative de dicter à l’enseignement sa pratique et ses finalités. Un enseignement-machine pour une société-machine?

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