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L’austérité, ça brise des vies

6 juin 2014

  • Jennie-Laure Sully

Entre 1991 et 1994, l’espérance de vie des hommes russes dans l’ex-URSS est passée de 64 à 57 ans.  Il s’agissait de la pire baisse de l’espérance de vie enregistrée sur une aussi courte période dans un pays qui n’était en proie ni à la guerre, ni à la famine. Les causes relevaient plutôt de l’alcoolisme, des agressions et d’accidents chez les jeunes hommes sans emploi suite à l’effondrement du bloc soviétique et la privatisation accélérée des services publics qui s’en est suivie.

À partir de 1998, la Thaïlande a vu son taux de mortalité dû aux maladies infectieuse soudainement doubler en cinq ans alors qu’il était à la baisse depuis une quarantaine d’années. Ce revirement survenu pendant la crise économique asiatique était principalement dû à une recrudescence du taux d’infections au VIH suite à l’élimination du programme gouvernemental « no condom, no sex » et à l’arrêt de l’envoi de travailleuses et travailleurs sociaux dans les quartiers chauds de la prostitution.

Aux États-Unis, en août 2007, 27 personnes sont mortes après avoir contracté le virus du Nil occidental. Cette année-là, il y avait eu 140 de ces cas d’infections, soit une augmentation de 280%. La cause la plus probable se trouve dans les centaines de milliers de propriétés saisies durant la débâcle de la crise des subprimes. En effet, les pelouses des propriétés saisies et laissées sans entretien ont rapidement été envahies par la mauvaise herbe, tandis que des algues et débris de toutes sortes s’accumulaient dans l’eau des piscines qui n’avait pas été drainées. Ces propriétés saisies sont devenues la source d’une infestation de moustiques vecteurs de la transmission du virus du Nil occidental.

Qu’ont en commun les événements décrits ci-dessus? Ils mettent en évidence le fait que santé économique et santé humaine vont de pair.  C’est la démonstration faite par David Stuckler et Sanjay Basu dans « The body economic: Why Austerity kills ». Spécialistes en santé publique et en épidémiologie, ces auteurs nous fournissent, chiffres à l’appui, une analyse claire de l’impact fatal des récessions et des mesures d’austérité sur «le corps économique », c’est-à-dire sur les peuples dont les vies sont régies et affectées par une politique économique commune.

Loin d’être ardue, la lecture de ce livre, nous permet d’aller au-delà des chiffres et de réaliser l’ampleur des tragédies vécues individuellement et collectivement en raison de choix économiques austères. De tous les cas d’impact fatal de l’austérité sur lesquels les auteurs se sont penchés, le plus tragique est bien entendu celui de la Grèce. Forcés par le Fonds monétaire international (FMI) de réduire les dépenses du système de santé à 6% (pourcentage le plus bas connu en Europe depuis que l’on tient ces statistiques), les Grecs ont été plongés dans la pire catastrophe socio-sanitaire de leur histoire : augmentation de 200% des infections au VIH, épidémie de malaria, suicides, maladies mentales, toxicomanie, etc. Les Grec.que.s agonisent depuis 2008.

Sacrifier des vies humaines permet-il de sauver l’économie? Non, constate Stuckler et Basu. L’austérité censée rassurer les investisseurs et relancer l’économie ne fait rien de tel. Pire, après cinq ans d’application du plan de « sauvetage » du FMI en Grèce, tous ces malades qui s’engorgent dans les hôpitaux fonctionnant à effectif réduit coûtent en réalité plus cher que ce que l’État parvient à économiser en coupures budgétaires! Les Grecs sont perdants sur toute la ligne alors que les créanciers américains, français, allemands et britanniques qui avaient contribué à la bulle spéculative en Grèce, eux, ont été remboursés.

Bref, exception faite d’une petite élite qui se trouve récompensée d’avoir pris des risques économiques insensés, en Grèce, en Thaïlande ou ailleurs, l’austérité équivaut à une punition collective mortelle et inefficace. Certain.e.s diront tout de même qu’à petites doses, l’austérité doit bien aider à assainir les finances publiques. Stuckler et Basu insistent sur l’idée que le moindre changement dans un budget gouvernemental peut avoir les meilleures comme les pires conséquences. Chaque politique économique devrait donc être examinée avec la même rigueur que l’on met à évaluer un nouveau médicament.

Accepteriez-vous que 2000 de vos concitoyen.ne.s meurent en échange d’une réduction de 0,3% du déficit? Telle est la question qui devrait être posée sans faux-semblant à la population selon Stuckler et Basu. Si on faisait preuve d’une telle honnêteté mathématique pour guider nos décisions politiques, disent-ils, des priorités différentes pourraient être établies. Quand on sait qu’au Québec, notre premier ministre, médecin de formation, ne veut même pas nommer l’austérité par son nom, il faut se dire que l’honnêteté tout court changerait effectivement bien des choses en politique.

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