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Négocier de bonne foi

1 juin 2012


Il n’est pas évident que les parties attablées à une négociation y sont de bonne foi. Afin de mesurer celle-ci, on peut tenter d’évaluer capacité à faire des concessions pour parvenir à une entente. Le gouvernement et les étudiants remettent en question l’ouverture de la partie adverse. Regardons un peu les offres venues de chaque côté afin de voir qui a fait le plus de concessions lors des négociations qui viennent de se terminer.

Du côté du gouvernement

À première vue, et comme le croit Alain Dubuc, on pourrait penser que le gouvernement en a fait plusieurs avant même les négociations. Toutefois, on y découvre rapidement des bémols. Le gouvernement :

  • Maintient son offre d’améliorer le programme de prêts, mais cette position ne lui demande aucune concession, puisqu’il demande aux universités de compenser par des dons les 20 M$ que représenteront cette offre.
  • Maintient sa proposition d’augmenter le programme de bourses et d’étaler la hausse. Là encore, aucune concession véritable : l’étalement de la hausse se fait aux dépens des universités et l’augmentation du programme de bourse se fait à même une réduction du crédit d’impôt qui passe ainsi de 20% à 16,5% des frais de scolarité payés.
  • Propose un programme de remboursement proportionnel au revenu, sans rien annoncer de son fonctionnement.

Comme on le voit, les gestes du gouvernement ne sont pas vraiment des concessions, mais plutôt des aménagements positifs. Ce ne sont pas des mesures mauvaises en soi, mais elles sont loin d’être parfaites, comme nous l’avions montré ici, ici et ici, et elles ne portent pas (ou si peu) sur l’enjeu même de la grève : l’augmentation des frais de scolarité.

Regardons maintenant du côté des négociations qui viennent de prendre fin. Le gouvernement a proposé de réduire à nouveaux le crédit d’impôt, le faisant passer de 16,5% à 13,5% et de répartir ensuite les effets sur 7 ans (soit la fameuse baisse de 35$ par année). Au final, on parlerait donc d’une hausse totale de 1533$. Suite à une proposition des étudiant·e·s, il aurait ensuite envisagé de condenser cette baisse du crédit d’impôt en une année en proposant néanmoins de maintenir une hausse de 100$/année (à l’instar de celles qui furent mises en place de 2007 à 2012) pour l’année 2012-2013, soit pendant la tenue d’un forum sur l’éducation. Il serait donc question d’une hausse de 1624$. Le gouvernement aurait en effet refusé toutes les propositions qui permettaient l’illusion d’un moratoire, soumettant du même coup une deuxième offre plus élevée que la première qui avait été refusée d’emblée.

Que concède alors le gouvernement? Il concède l’existence d’un forum (qui ressemble aux États généraux réclamés par plusieurs depuis des mois) pour discuter d’éducation. Il est aussi prêt à diminuer très légèrement la hausse, tant que ça ne coûte rien de plus à l’État ni aux contribuables et que ce sont, en fait, les étudiant·e·s qui paient pour cette diminution en sacrifiant un crédit d’impôts auquel ils avaient droit auparavant.

Le gouvernement avait-il d’autres options qui auraient pu respecter leur volonté de ne pas « faire payer » un autre groupe social que les étudiant·e·s? Dans un billet de blogue précédent j’avais soulevé l’idée d’aller piger quelques millions dans le crédit d’impôt et quelques autres dans le fond « pour éventualités » du gouvernement. En agissant ainsi, il n’aurait pas demandé un sou de plus aux contribuables et aurait pu maintenir son plan de financement des universités tout en réglant la crise.

Du côté des étudiant·e·s

Lors de cette dernière ronde de négociations, les étudiant·e·s semblent avoir fait, de leur côté, d’importantes concessions. D’abord ils ont accepté d’entrer dans les paramètres du gouvernement pour négocier. Qu’est-ce à dire ?

  • Qu’ils acceptent le plan de financement des universités sans le remettre en question. C’est une concession importante puisque les diverses associations contestent l’idée même du sous-financement universitaire depuis le début de la grève. Cependant, dans le cadre des négociations, elles ont acceptée de se plier à l’idée que ce plan sera mis en place.
  • Concession plus lourde de conséquence encore, les associations ont accepté de faire que ni le gouvernement, ni les contribuables (que ce soit les individus ou les entreprises) ne paient davantage pour réduire la hausse des frais de scolarité et de payer eux-mêmes cette réduction. La hausse est ainsi absorbée à travers les divers avantages fiscaux.

Ce qu’on comprend des propositions étudiantes, c’est qu’elles mettent de l’avant la réduction de crédits d’impôt et d’incitatifs à l’épargne pour négocier deux années sans hausse des frais, tout en conservant la hausse pour les années suivantes. Pendant ces deux années, aurait lieu un forum sur l’éducation qui permettrait de décider ce que nous voulons avoir comme éducation post-secondaire. Ainsi, les étudiant·e·s prennent leur propre argent pour financer un gel temporaire, sans coût pour les contribuables et nous donnent le temps de discuter dans un forum que même le gouvernement semble reconnaître comme intéressant.

Sacrifier le crédit d’impôt a un coût pour chaque étudiant·e. Avec les frais de scolarité actuels, le crédit correspond à 434$. La hausse des frais de 1778$ le ferait passer à 789$ par année. Avec la réduction à 16,5% les étudiants sacrifieraient 138$ du crédit d’impôt. En l’amenant à 13,5% la réduction du crédit d’impôt passerait à 287$.

Il s’agit donc d’un sacrifice, mais le jeu en vaut probablement la chandelle. Ce crédit représente 138 M$. On peut aimer les crédits d’impôts, et il y a de bonnes raisons pour le faire. Il est cependant évident qu’une contrainte à l’entrée est bien plus nuisible qu’un bonbon à la sortie n’est souhaitable.

Qu’en est-il maintenant du programme d’épargne-étude que les étudiant·e·s songent à éliminer (les REEÉ)? Le gouvernement nous annonçait, dans sa conférence de presse, que le sacrifier c’était mettre la hache dans l’épargne de la classe moyenne pour les études de leurs enfants. Difficile à dire avec le peu de données disponibles. En effet, les dépenses fiscales indiquent seulement qu’il s’agit d’une dépense de 55 M$ pour l’année 2011. Statistique Canada nous informe que, pour le Canada en 2002 (voilà qui date, mais il est difficile d’espérer qu’en temps de morosité économique cette situation ce soit améliorée) seulement 17% des étudiant·e·s bénéficiaient de ce programme (ou de compte en fiducie ou d’obligations d’épargnes) pour un montant médian de 1500$ par année. S’il s’agit toujours de 17% de la population (les ménages sont endettés à plus de 150% laissant peu de marge de manœuvre pour l’épargne), difficile de penser que ces gens sont parmi les plus pauvres ou la classe moyenne. En effet, toujours selon Statistiques Canada, une mesure similaire prévue pour la retraite, les RÉER, est d’abord utilisée par les familles faisant 85 000$ et plus (à 90%) et beaucoup moins par les familles faisant 36 500$ et moins (à 35%). Là aussi un sacrifice, mais surtout pour les plus aisés.

Où loge la bonne foi?

Bref, le gouvernement a fait certains réaménagements, quelques uns avec des effets intéressants, mais n’a jamais fait de concessions qui lui coûtaient quoi que ce soit, ni budgétairement, ni politiquement. Il ne semble pas non plus avoir tenu compte de quelle offre serait acceptable pour des gens en grève depuis trois mois dans le contexte que l’on sait.

À l’inverse, il semble évident que les étudiant·e·s ont accepté de faire d’importantes concessions : payer à même leurs propres avantages fiscaux pour éviter temporairement la hausse le temps de faire une discussion nationale sur l’éducation, accepter le plan de financement malgré leur opposition à la thèse du sous-financement des universités. Pourquoi faire ces concessions sinon pour permettre au gouvernement d’accepter une proposition sans avoir à perdre la face? N’est-ce pas la définition même de la bonne foi que de chercher une entente acceptable pour son partenaire de négociation?

À la question « Où loge la bonne foi? », la réponse semble claire.

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