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Surenchère olympique

10 février 2014

  • Julia Posca

Si, comme le prétend le spécialiste de la sociologie du sport Michel Caillat « analyser le sport c’est aussi analyser la société », il apparaît opportun de se demander ce que nous disent les olympiques des sociétés actuelles alors que les 22e Jeux olympiques (JO) d’hiver battent leur plein dans la ville russe de Sotchi.

Les jeux modernes n’ont bien sûr rien à voir avec leurs ancêtres de l’Antiquité grecque, qui étaient entièrement destinés au culte des divinités hellènes. Cependant, dans leur forme actuelle, les olympiques semblent également prendre une signification différente de l’idée que s’en faisait Pierre de Coubertin au moment de refonder les jeux à la fin du XIXe siècle.

Sous le règne de l’espagnol Juan Antonio Samaranch, président controversé du Comité international olympique (CIO) de 1980 à 2001, les JO sont devenus une entreprise prospère : les revenus du CIO, une organisation que l’on dit élitiste et opaque, ont atteint pour la période 2009-2012 la rondelette somme de 8 milliards US$ (il s’agit toutefois d’un organisme à but non lucratif). À plusieurs reprises, le CIO a d’ailleurs appliqué le plus grand zèle afin de protéger ses droits sur la marque que constituent les Jeux olympiques.

Aujourd’hui, les rendez-vous olympiques se déroulent par ailleurs sous le signe de la surenchère et les jeux de Sotchi illustrent parfaitement cette tendance. Avec une facture totale que le président russe dit s’élever à environ 50 milliards de dollars, ils remportent le titre d’olympiade la plus coûteuse de l’histoire des JO. Mentionnons que malgré ce que prétend Vladimir Poutine, la corruption serait au moins en partie responsable de cette situation.

Dans la foulée des jeux d’été de Pékin en 2008, estimés à 44 milliards de dollars, l’ancien président du CIO Jacques Rogge s’était inquiété de l’ampleur qu’avaient pris les JO et craignait que l’aspect financier ne devienne un obstacle pour les villes désireuses d’accueillir l’événement. Le CIO songe même à la possibilité d’attribuer les futurs JO à plusieurs villes afin de remédier à ce problème. Il faut dire que le simple fait de soumettre sa candidature est une entreprise fort coûteuse pour laquelle Tokyo, en lice pour les jeux de 2020, aurait par exemple déboursé 83 millions de dollars.

Les jeux, au-delà de la volonté de « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » (Charte olympique, p. 11), sont d’abord l’occasion pour les États de s’affronter dans un cadre qui lui se veut pacifique. Bref, une manière selon certains de poursuivre la guerre par d’autres moyens. Et cette compétition n’a d’égale que celle que se livrent les athlètes à grand renfort de matériaux hyperperformants, de techniques sophistiquées et, parfois, de produits dopants.

Cette quête de l’excellence a ainsi conduit à la démesure dont Sotchi est le théâtre ces jours-ci. Ce faisant, la pression qu’exercent ces jeux sur l’environnement est aussi immense. D’abord parce qu’ils ont nécessité la construction d’infrastructures qui pourraient avoir altéré l’équilibre des écosystèmes de cette station balnéaire de la mer Noire. Mais également car le climat de la ville étant subtropical, des tonnes de neige artificielle ont dû être créées pour s’assurer du bon déroulement des épreuves en montagne. P

aradoxalement, c’est justement la nature qui pourrait imposer une limite à cette hypertrophie olympique. Des chercheurs de l’Université de Waterloo ont montré dans une étude publiée le mois dernier qu’au rythme où vont les changements climatiques, seule la moitié des 19 villes qui ont reçu les jeux d’hiver depuis 1924 auront encore les conditions nécessaires pour les recevoir dans la deuxième moitié du XXIe siècle.

Contrairement à ce que suggérait Joseph Facal au micro de Pas de midi sans info vendredi dernier, les jeux ne sont pas « la loupe grossissante de ce qu’est l’être humain ». En revanche, ils expriment bel et bien l’essence d’une civilisation qui, au détriment de toute considération éthique, sociale ou écologique, est toute entière vouée au culte de la performance.

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