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Vers quelle prospérité?

22 août 2012

  • RG
    Renaud Gignac

Décidément, certaines choses ne changent pas. Pour une troisième année d’affilée, le Conseil du patronat du Québec récidive avec son caractéristique Bulletin de la prospérité du Québec, qui propose d’évaluer la capacité du Québec à « créer de la richesse ». Sans surprise, les Québécois·es, aux yeux du regroupement patronal, ne comprennent manifestement rien à la prospérité puisqu’année après année, ils demeurent des cancres en la matière, récoltant invariablement un « C ».

Pourtant, les critiques soulevées à l’encontre de la méthodologie du Bulletin de la prospérité se sont faites nombreuses depuis 2010 (voir notamment la lettre ouverte des chercheurs Guillotte et Martin, l’article de Jean-Robert Sansfaçon dans Le Devoir ou notre brochure de 2011). Pour résumer, il est reproché à l’organisme de tracer une adéquation simpliste entre l’indice du produit intérieur brut réel, qui comptabilise la valeur marchande des activités de production ou de consommation sur un territoire donné, et la prospérité au sens large. En fait, pour le Conseil du patronat, il suffirait que l’environnement fiscal et politique du Québec soit modelé pour encourager la production du plus grand nombre de biens et de services, quels qu’ils soient et au plus fort prix possible, pour que l’on considère le Québec comme vraiment prospère.

PIB n’égale pas toujours prospérité

Pourtant, cette manière simpliste d’associer PIB et prospérité comporte d’importantes failles qui sont par ailleurs assez bien connues. Premièrement, le PIB ne rend pas compte de la répartition des richesses. Que des organisations internationales comme l’OCDE considèrent comme fortement préoccupante l’aggravation constante des inégalités dans les pays développés, une tendance à laquelle n’échappe pas le Québec, ne semble pas déranger le Conseil du patronat. Selon sa définition de la prospérité, il suffit que le revenu d’un groupe restreint d’individus s’améliore suffisamment, même si celui de tous les autres stagne, pour que la note du Québec s’améliore. Pire, en faisant varier inversement prospérité et fardeau fiscal, le Conseil du patronat perçoit toute forme de redistribution des richesses comme une anomalie à corriger. Ainsi, le Bulletin de la prospérité récompenserait le Québec d’une excellente note s’il décidait de réduire considérablement l’impôt sur le revenu, voire de l’abolir carrément, entraînant d’inévitables contrecoups comme l’allongement considérable des délais d’attente dans les hôpitaux et la décrépitude rapide des réseaux scolaires. Agir ainsi propulserait le Québec au rang des « premiers de classe » aux côtés du Mexique et du Chili, loin devant les « cancres » que sont… la Suède et le Danemark!

Deuxièmement, la prospérité du Conseil du patronat ne prend en compte ni l’épuisement des ressources naturelles, ni la détérioration de l’environnement. Ainsi, un Québec qui réduirait à zéro le taux de redevances exigées pour l’exploitation de nos ressources minérales ou gazières, et qui choisirait d’abroger toute réglementation environnementale afférente, laissant ainsi notre sous-sol public être librement dilapidé et nos nappes phréatiques empoisonnées, gagnerait de précieux points au Bulletin (aux chapitres de la « réglementation » et des « finances publiques », notamment). De la même manière, tout objectif de réduction des gaz à effet de serre nous éloigne d’une bonne note. Une vision de la prospérité que peu de gens seraient prêts à accepter.

Des défis à notre mesure

Dans le contexte d’une économie mondiale chancelante, particulièrement dans l’Union européenne, le Québec fait face à d’importants défis. Ainsi, certains éléments du Bulletin, comme le taux de diplomation au secondaire ou l’intégration des personnes immigrantes, sont souhaitables à plusieurs points de vue. Perpétuer un déficit budgétaire chronique n’est pas non plus une option viable, à moins de compter sur une croissance économique sans limite pour espérer réduire à terme le poids de la dette publique. Or, à l’aube d’un siècle nouveau où surchauffe planétaire et effondrement dramatique de la biodiversité ne sont que les symptômes les plus flagrants de la démesure de nos économies par rapport aux écosystèmes qui ne parviennent plus à les supporter, miser aveuglément sur la croissance du PIB pour espérer régler tous les problèmes est bien le pire des remèdes.

Le défi qui se dresse devant nous est davantage de parvenir à assurer un niveau de vie décent pour toutes et tous, dans les limites naturelles des écosystèmes, que de chercher à encourager n’importe quelles formes de production, n’importe comment. Pour entrer de plein pied dans la modernité, il nous faudra mieux examiner les impacts sociaux et environnementaux de nos activités économiques et prendre les mesures qui s’imposent pour renverser les tendances les plus inquiétantes de notre modèle de développement. Faut-il rappeler que le Québec, d’après les calculs du Conseil consultatif allemand sur les changements climatiques, émet près de quatre fois la quantité de gaz à effet de serre par habitant jugée sécuritaire pour limiter le réchauffement planétaire à 2°C? Certains devront un jour réaliser que toutes les activités économiques, quelles que rentables puissent-elles être, ne sont pas nécessairement souhaitables.

Inspirations en vrac

Les personnes intéressées à chercher ailleurs des indicateurs permettant de rendre compte d’une prospérité plus holistique, axée sur la recherche d’un bien-être durable davantage que sur la stricte production économique, pourront consulter l’Indice de progrès véritable, l’Indice Vivre mieux, publié dans Le Québec économique 2011, les Indicateurs québécois de développement durable ou encore l’Indice canadien du mieux-être. Pour des idées sur comment tendre vers une telle prospérité, voir notamment le projet Great Transition, lancé par la New Economics Foundation (Royaume-Uni), ou encore la plateforme Global Transition Towards a New Economy, du New Economics Institute (États-Unis).

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